le Pendu


Si la Force concluait l'initiation du puissant Mage, le Pendu commence celle du clairvoyant Mystique. Nous passons d'une initiation active, solaire -dorienne- à une initiation passive, lunaire -ionienne- 

Ce Pendu n'est pas condamné à la potence, il faudra attendre la Mort pour cela ; il est plutôt suspendu, et cela a l'air de bien l'amuser d'ailleurs ! Il faut dire que si l'initiation dorienne pousse à la maîtrise de soi, à l'accumulation du pouvoir personnel, à la responsabilité et à savoir répondre, à l'autonomie, à l'expression de soi... pfff ! L'initiation ionienne propose à l'inverse un lâcher-prise, à savoir se laisser traverser, d'être à disposition, d'accepter l'impuissance, d'écouter... C'est le Rayonnement du Feu vs la Réflexion de l'Eau - l'Entrée en soi via la Voie sèche ou la sortie de soi via la Voie humide.


Notre suspendu -un Guerrier implacable- a décidé de lâcher-prise donc, et de regarder -peut-être voir- selon un point de vue différent... de voir autrement sa relation à l'autre (le 1 rencontre le 2) et plus généralement sa relation au Monde (21). De mettre de côté son "je veux !" au profit d'un "j'accepte réellement l'altérité"... Il y a dans l'initiation ionienne l'idée de voir autrui et le monde tel qu'il est plutôt que de le tordre à notre idée ; mais aussi ce périlleux retournement qui consiste à ne plus se placer au centre du monde... avec tout ce que cela change !

Il y a ici l'évocation d'une humilité, celle qui consiste à vraiment regarder l'autre, à vraiment l'écouter, à percer le miroir de sa bulle, pour voir, réellement, ce qui est. Pour se laisser surprendre, pour laisser infuser dans notre eau l'altérité d'un point de vue, d'une démarche, d'une idée, d'un être... 


Cette écoute demande nécessairement un relâchement, une souplesse, une adaptabilité, une confiance ; c'est ce qui semble ressortir de la détente du Pendu malgré la fâcheuse position dans laquelle il s'est mise... une position dans laquelle il n'a pas l'habitude d'être -un non-faire de l'être autrement dit- Il ne s'agit plus comme chez l'Empereur (4) de "maîtriser la matière" mais plutôt de "se laisser traverser" par l'Esprit (3)...

En parlant de retournement de point de vue, ce Pendu qui semble avoir même les mains liées dans son dos, est-il si passif que cela ? Quelque chose émane de lui, quelque chose de magnétique (comme le mouvement d'un pendu-le !) se dégage de l'image même de cet être suspendu. Il n'y a pas inaction ici, mais action d'une Force différente. Une force qui vient troubler notre représentation habituelle du monde... Et cette action est renforcée par le fait que ce Pendu ne semble pas seulement nous placer face à l'inhabituel, mais qu'il semble avoir lui-même intégré l'inhabituel...

C'est la descente de l'Esprit dans la Matière -comme la rosée qui se pose sur le sol- ce qui est le propos de l'alchimiste dont la tâche consiste à spiritualiser cette dernière, à commencer par la sienne propre. Ce processus consiste à libérer ce qui est enclot, comme la perception que nous avons de la réalité par l'œil de nos idées et autres certitudes, ou plutôt habitudes qui nous sécurisent. Pour cela il s'agit de se départir d'une peur profonde en réalité, celle de laisser l'inconnu advenir, celle de ne pas tout contrôler... C'est d'ailleurs ce qu'exprime peut-être une partie d'une légende concernant Odin (un autre pendu) qui, dans sa quête de la Vision, doit se départir de son œil gauche pour voir autrement. L'œil gauche qui est associé à l'Empereur dans le Tarot par ailleurs...

Ce processus d'élaguement ne semble pas mener notre Pendu à la folie non plus, ni à une inadaptabilité au monde. Rappelons que cette initiation ionienne fait suite à l'initiation dorienne. Plus l'être a conquis son Royaume, plus il peut se permettre de n'être "attaché qu'à un fil". Il a plongé dans ses Profondeurs, il a observé ses travers, il a simplifié sa vision sans pour autant réduire la complexité du monde, il a redéployé son être pour mieux se concentrer sur l'essentiel, il s'est incarné et n'a pas renié la matière... Peut-être même a-t-il perçu que le "rien" n'était pas si "vide" que cela et que cette traverse de l'esprit a de quoi le rendre serein dans cette suspension.

D'un autre point de vue, cette attache pose la question de nos attachements et autres dépendances. Le Pendu est suspendu par son talon d'Achille... et c'est précisément là que la Vie viendra nous éprouver...  C'est là que la confiance engrangée par son initiation dorienne doit lui donner la force d'affronter l'Epreuve, sans pour autant se battre avec... 

Puisque tout pousse au retournement dans cette Lame, retournons-la elle-même désormais.


Reflet du Monde, le Pendu apparaît cette fois comme retenu par un fil, sans quoi il s'envolerait tel Icare ? En tout cas ce double apparaît cette fois beaucoup moins entravé... Apparaît aussi l'idée que l'être en question ne soit ni tout à fait du Ciel, ni tout à fait de la Terre, mais dans un entre-deux... de quoi nous évoquer "la merveille et la terreur d'être un Homme" ! 

Comme un pont, comme un canal pour l'Esprit... Peut-on imaginer cela ? Être le "ET", le point de rencontre, ni l'un ni l'autre... Être la conscience de cette rencontre ? Aimer sans s'approprier ?

Les couleurs rouge et blanc de son surcot évoquent pour finir les deux Serpents latéraux de Kundalini, cette Force vitale qui peut soit s'épancher vers le bas, soit être canalisée vers le haut, en lien avec l'inversion érotique chère au Tantrisme. Cette inversion du Désir est cependant globale et n'a rien à voir il nous semble avec une quelconque ascèse... cela montrerait juste que le 11ème Arcane n'ait pas été bien intégré... il s'agit davantage d'une sublimation de la matière, d'un retournement intérieur... 

...Et c'est là toute la subtilité de cet Arcane où le 3 se cache sous l'apparente dualité du 2. Une troisième voie qui est l'un et l'autre à la fois, sans être ni l'un ni l'autre... Un secret émane de cette Lame en YeSOD, un secret de shaman, le secret du koan. Qui suis-je ?

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